L’économie de la fonctionnalité : un modèle économique au service d’une consommation plus durable
Ambroise Pascal, délégué à la transition écologique, président du groupe permanent « Consommation durable » du Conseil national de la consommation (CNC), a piloté un groupe de travail sur le thème de l’économie de la fonctionnalité dont le rapport a été publié le 1er octobre 2024. Il explique les changements que ce modèle économique implique pour les entreprises et les consommateurs, et nous invite à appréhender l’essentiel de la première contribution du CNC à la planification écologique.
La planification écologique pour l’économie circulaire prévoit d’accompagner les mutations économiques permettant de réduire les impacts environnementaux de la consommation. À la DGCCRF, Ambroise Pascal, délégué à la transition écologique, président du groupe permanent « Consommation durable » du Conseil national de la consommation (CNC), a piloté entre novembre 2023 et juillet 2024 un groupe de travail sur le thème de l’économie de la fonctionnalité. Son rapport et les recommandations du CNC qui l’accompagnent ont été publiés aujourd’hui 1er octobre.
Le CNC offre un cadre de concertation entre les acteurs, fédérations professionnelles et associations de consommateurs, auxquelles ont été associés des membres du Conseil national de l’économie circulaire (CNEC) et de plusieurs administrations.
Que recouvre ce modèle économique et quels changements implique-t-il pour les entreprises et les consommateurs ? Que retenir de cette première contribution du CNC à la planification écologique ?
L’économie de la fonctionnalité permet de réduire les impacts environnementaux de la consommation. Expliquez-nous pourquoi.
Il s’agit d’un modèle économique reposant sur l’usage d’un bien ou d’un service, et non sur la production en volume et l’achat de biens. Ainsi, le vendeur reste généralement propriétaire du bien, mais offre au consommateur un service répondant à son besoin et prenant en compte les enjeux sociaux et écologiques. La notion de « performance d’usage » devient centrale, plus que celle de propriété. Cette approche favorise le réemploi, la réparation et l’entretien des biens tout au long de leur cycle de vie.
Avec ce modèle, l’entreprise crée de la valeur et rend les services attendus par ses clients, tout en sortant de la logique de volume, et réduit ainsi la consommation de ressources naturelles et d’énergie.
Qu’est-ce que cela implique pour les entreprises et leurs pratiques commerciales ?
Dès lors que l’entreprise qui propose le service reste propriétaire des biens utilisés, elle a intérêt à l’allongement de leur durée de vie et à l’intensification de leur usage. Cela rend indispensable l’écoconception, le plus souvent en vue d’un usage mutualisé ou de réemplois successifs, et le développement des activités de logistique et de maintenance. Cela peut aussi nécessiter de repenser le modèle comptable. On peut donner l’exemple d’un abonnement permettant de disposer d’un appareil écoconçu (téléphone, scooter électrique, électroménager…), au prix dégressif selon la longévité, complété par une offre de maintenance et éventuellement des services personnalisés.
La centralité de la notion de performance d’usage et la dimension « coopération » impliquent aussi de faire évoluer un certain nombre de métiers, à commencer par le marketing, la vente et la relation client qui doit être revisitée.
Dans les modèles les plus poussés, la coopération permet d’envisager un cofinancement par des bénéficiaires indirects du service. Par exemple, une collectivité ou une mutuelle peuvent bénéficier d’une réduction des embouteillages et d’une amélioration de la santé des usagers grâce à un service de transport fondé sur l’économie de la fonctionnalité, et contribuer à ce titre à son financement.
Avec ces nouvelles pratiques, quels seront les points de vigilance de la DGCCRF pour la protection des consommateurs ?
Le « droit commun » du code de la consommation est protecteur et s’applique ici comme ailleurs. Pour autant, le CNC a formulé plusieurs recommandations pour garantir que le consommateur soit aussi bien protégé que celui qui achète un bien ou un service classique.
Le premier point de vigilance porte donc sur l’information du consommateur. La lisibilité des informations précontractuelles sur la fonctionnalité et la performance attendues sera essentielle pour offrir au consommateur la possibilité de comparer. Les services, leurs modalités de mise à disposition et de révision, ainsi que les obligations à la charge du consommateur doivent être clairement définis.
Puisque l’on est souvent dans une logique d’usage à long terme, la DGCCRF sera attentive aux contrats d’abonnement ou d’assurance proposés. Il ne faudrait pas que le client se retrouve dépendant d’un système en raison de contrats trop contraignants.
Le besoin de personnaliser l’offre selon les besoins peut aussi impliquer la collecte de données personnelles. Celle-ci doit demeurer proportionnée à l’atteinte de l’objectif visé.
Enfin, la lutte contre le greenwashing étant l’une des priorités de la DGCCRF, la mise en avant de l’économie de la fonctionnalité ou de ses avantages environnementaux comme argument écologique marketing sera examinée par les enquêteurs pour en vérifier la loyauté.
Que peut-on retenir de cette première contribution du CNC à la planification écologique ?
Le sujet n’était pas facile car l’économie de la fonctionnalité est encore peu connue et peut prendre des formes diverses. Même la définir n’est pas aisé ! Le groupe s’est approprié ce modèle, puis a travaillé bien sûr à la protection des consommateurs, mais aussi au développement d’un modèle économique plus respectueux des ressources naturelles.
Une des recommandations m’apparaît centrale et est une condition de réussite de plusieurs autres : elle porte sur la mise en place de méthodologies d’évaluation des impacts environnementaux et sociaux des offres d’économie de la fonctionnalité. On peut y lire une perspective d’évolution du rôle des entités publiques : à un rôle de facilitation, d’appui à l’amorçage et de mise en réseau comme celui que joue notamment l’Ademe aujourd’hui vient s’ajouter un rôle possible d’appui à l’évaluation des impacts, voire de cofinancement pérenne, qu’il serait intéressant de développer.
Enfin la planification écologique est là pour planifier, mais aussi pour décloisonner. La question de l’incitation des entreprises, avec des recommandations sur la formation, l’accompagnement et les dispositifs de soutien, nécessiterait l’implication d’autres administrations. Et n’oublions pas les planifications régionales qui commencent à voir le jour, et pourraient se pencher sur le soutien à l’économie de la fonctionnalité, dans laquelle la dimension territoriale est importante.